Jusqu'où iront-elles ?

Publié le 2 février 2010 par Dr. Nevitch & Mad Hatter & Roger Milk

Le magazine Elle, en maquerelle attentionnée, lance L'état général de la femme 2010. Sujet juteux, sur lequel nous nous devions d'apporter notre plume acidulée. Face à cette lutte passive, notre généreuse verve :

Ne tournons pas autour du pot et disons-le d'emblée, l'état général de la femme 2010 est largement satisfaisant. Oh nom de Dieu oui ! L'état de la femme est plus que largement satisfaisant : plus de deux enfants par femme en deux mille huit, et une augmentation de plus de vingt et un pour cents du chiffre d'affaires du groupe Cuisinella pour le seul mois d'octobre 2009, c'est vous dire. Alors bien sûr, bien sûr, le bistouris d'un chirurgien véreux, de droite et consciencieusement défoncé au prozaque est passé par là, mais que voulez-vous, la femme© a quand même des heures de vol derrière Elle.

Mais il ne faut pas perdre de vue que des améliorations substantielles ont été réalisées en matière de femme : Botox troisième génération, parité au sein de l'équipe de France de football (que des gonzesses d'ailleurs), accès gratuit aux sites de rencontre et boîtes de nuit, création du figaro madame, réouverture prochaine des maisons closes¹ etc... Je ne parle pas du droit de vote parce que depuis qu'elles l'ont on ne se tape que des toquards. Pourtant choisir un homme, on pourrait croire que c'est dans leurs cordes, comme ça, à priori. Mais non.

D'une manière générale donc, la condition de la femme© s'est considérablement améliorée ces dernières années. D'ailleurs, elle n'hésite plus à s'exhiber nue ou demi-nue dans la rue, les lieux publics et dans certaines administrations, assument pleinement son corps et son statut de bombasse. Croyez moi, la femme© ne cesse de s'améliorer, elle apprend de ses erreurs, et un jour, elle supplantera l'homme dans l'art délicat et magistral d'écrire son prénom en pissant dans la neige.

Et entre nous, il n'y a qu'à se retourner sur le joli petit cul de la bibliothécaire pour s'en persuader. Ou bien redécouvrir, à la faveur d'un one-shot, l'état de superbe dans lequel femme se trouve. Oui Mesdames, vous êtes belles ! Magnifiques même. Vos seins sont de jeunes faons s'abreuvant dans l'aurore d'un début de printemps, vos oreilles des berceaux immoraux, et vos lèvres, vos lèvres, vos lèvres sont des chemins d'un or fin qu'une fée majestueuse parcourt d'un pas lent, vos cheveux une traine lumineuse. Vos sexes ? Vos sexes sont des coupoles serties d'ivoires et vos culs pareils à des mangues abondantes se dérobant sous vos robes aux orobes de diamant. Oh nom de Dieu ! Femmes magiques ou bien salopes, unissez vous !

Alors me direz-vous, si le sexe profond rayonne autant, pourquoi se pencher, avec l'empressement et la maladresse d'un homme dans un décolleté plongeant, sur le dossier « femme »? Et d'ailleurs, cet état général de quoi s'agit-il exactement ? Et bien, c'est une sorte de grenelle de la femme©. Un savant mélange entre le salon de l'agriculture et le mondial de l'auto. Le magasine de régime, de publicités et autres recettes de cuisine, avait en effet initié dans les années soixante-dix un premier état général de la femme. Quarante ans plus tard, Elle réitère, histoire de se payer une bonne campagne de pub aux frais de la lutte des femmes. Mais c'est encore Valérie Toriane, rédactrice en chef du magazine, qui en parle le mieux "Ces cahiers de doléances, ces revendications, ce ressenti des femmes, on va les porter auprès des membres du gouvernement et même du président de la République, et peut-être que ça aboutira à certaines lois". Ainsi, toutes les femmes du pays (comprenez les lectrices de Elle) papotent, puis s'en iront demander au premier époux de France s'il accepte de leur refiler quelques billets. Y'a pas à dire c'est beau des femmes en lutte. Et je les imagine très bien se pointant dans la garçonnière présidentielle, toutes de flanelle vêtues dans l'espoir de vider les bourses du premier membre de la république.

Plus sérieusement, et en toute caution intellectuelle, Roland Barthes faisait remarquer en son temps, dans une mythologie intitulée « Romans et enfants » : « ELLE dit oui d'un côté et non de l'autre, (...) ELLE dit aux femmes : vous valez bien les hommes ; et aux hommes : votre femme ne sera jamais qu'une femme ». « Un monde sans hommes, mais tout entier constitué par le regard de l'homme, l'univers féminin d'ELLE est très exactement celui du gynécée. Il y a dans toute démarche d'ELLE ce double mouvement : fermez le gynécée, et puis seulement alors

, lâchez la femme dedans.

(...) Aimez, travaillez, écrivez, soyez femmes d'affaires ou de lettres, mais rappelez-vous toujours que l'homme existe, et que vous n'êtes pas faites comme lui : votre ordre est libre à condition de dépendre du sien ; votre liberté est un luxe, elle n'est possible que si vous reconnaissez d'abord les obligations de votre nature. ».

Et poupée-copie-1 c'est ce qui se passe une nouvelle fois avec cet état général où le piège à pub de Lagardère fait se côtoyer pêle-mêle un débat rose Barbie et des articles minceurs, un concours pour gagner des ustensiles

de cuisine², et des réclames chiffons/jupons en tout genre. « De l'avis d'Hélène Darroze, chef d'entreprise ET mère de famille, le premier combat à mener se passe dans la tête des femmes, qui sont confrontées à des choix ».

Le fond et la forme. C'est un copieux délire, une fesse flasque dans un océan de fermeté, un peu comme si Nicolas Hulot faisait de l'écologie, ou si Patrick Sébastien était drôle, ou encore comme si Rosy annulait la commande de 50 millions de doses de vaccin sans frais. D'ailleurs, en bonne femme du gouvernement, Rosy et ses copines, ridicules comme une épilation du maillot, ou un article intitulé « mon lisseur ma sauvé de la catastrophe capillaire³ », se sont retrouvées autour d'un dîner pour papoter gentiment sur la condition de la femme©. Une petite vidéo souvenir a d'ailleurs été tournée afin que le monde entier puisse voir à quel point les femmes, elles aussi, ont des choses pertinentes et intelligentes à dire et que elles aussi savent donner un bon coup de reins dans les portes ouvertes. Messieurs réjouissez vous, vous n'avez plus le monopole du lieu commun.

http://www.youtube.com/watch?v=gS9vWlrBAfY

Le seul fait nouveau et tout à fait remarquable de ce petit reportage d'investigation, est l'empressement de notre ministre de la Santé à aller bosser. Le reste n'est que déambulation de rigueur en vue des régionales.

Enfin, le blog de l'observatoire de l'état général de la femme, l'équivalent féminin de SécuriTest, explique qu'il faut rester « Vigilantes dans nos relations homme/femme, car la pression psychologique est aussi une violence !! » Peut-être faudrait-il voir aussi à surveiller la pression psychologique venant des femmes elles-mêmes et notamment des magazines féminins qui, en matière de pression et d'affabulation esthético-bourgeoise n'est pas en reste.

Alors j'ai envie de dire merci. Merci Mesdames de défendre avec autant de sérieux la condition féminine. Grâce à vous, la domination masculine a encore de très beaux jours devant et dans Elle. Relativisons toutefois l'ampleur de ce grenelle de la donzelle,Elle est un magasine acheté uniquement par les femmes de médecin généraliste dans le seul but de détendre les patients avant que leur mari ne leur refile une boite de suppositoires mentholés.

Mad Hatter

1Dans son livre « Pour en finir avec les violences faites aux femmes », paru le 28 janvier, la députée UMP de Seine-et-Marne Chantal Brunel proposait de « rouvrir des maisons closes minutieusement contrôlées ».

2L'observatoire des états généraux de la femme est agrémenté d'une publicité elle aussi tout à fait significative « Jouez avec Elle et gagnez des ustensiles de cuisines »

3http://cuisine.elle.fr/elle/Blogs/news-blogs/Mon-lisseur-m-a-sauvee-de-la-catastrophe-capillaire/(gid)/1128089