Roger Milk célèbre la ferme

Publié le par Dr. Nevitch & Mad Hatter & Roger Milk


Réveillé par un coq miteux déplumé comme un punk après un concert des Bérus, je sirotais mon café-goutte matinal. La journée s'annonçait bien. Il ne pleuvait pas. Mon quignon de pain campagnard sauta du grille-pain. Le tartinant d'une livre de beurre, j'entendis la radiophonie informer ses auditeurs de l'ouverture du Salon de l'agriculture. La nouvelle me réjouissait. J'allais à la manière d'un Jacky Chrac fringant et gouleyant pouvoir silloner cet espace rural à la portée de Paris. Fissa, je laissai ma gouvernante ranger mes restes de petit-déj'afin de préparer mon paquetage journalistique. Je jubilais littéralement. Je ne pouvais passer à côté de cet engouement pour les vaches et autre animaux cornus. Revenu dans le cuisine, je me présentai à ma gouvernante en tenue légère. J'arborai fièrement un marcel blanchâtre et un slip kangourou galvaudant mes parties les plus intimes :

 

-M'an t'as pas vu mon pantalon gagné à Radio Bleu M... ?

-Con de fils, tu l'as pas encore déballé de son paquet. « Peur de le salir » que tu m'as dit.

-ah ouais, lui répondis-je mollement. Dis, tu pourrais t'activer un peu pour le ménage ! J'voudrais partir d'ici une heure au Salon.

-tu crois vraiment que je vais faire ton ménage! File plutôt un clope que je fasse tranquillement mon loto... tu me prends pas pour ta boniche tout de même ?

-euh nan nan maman...


Rangeai les bols, fis la vaiselle et enfilai mon pantalon pour la capitale. Pour travailler sur le Rural et l'image qu'il nous laisse à voir, mieux vaut être bien endimanché. C'est pas tous les jours que la campagne s'invite à Paris! La diversité de l'offre est alléchante. Outres les petits-toasts fromagés et autres produits de terroir, je pourrais découvrir le tourisme vert. Les français urbanisés aiment à se retrouver à la campagne. Chambre dans un Logis de France1 pour les 4x4 ou camping à la ferme Accueil Paysan2 pour ceux qui veulent de l'authenticité. Je ne devais pas oublier ma tente.


Bref, j'embrassai ma mère avec déjà mes bottes aux pieds.


-Morveu! Je fais quoi d'la gamine qu'est dans ta piaule !?

-Laquelle? Fous les toutes à la porte.

-Mais comment ?

-Parle-leur de tes varices ou autre chose j'sais pas, un truc qui leurs fasse peur. J'te laisse. Quartier libre mais picole pas trop en mon absence. Béco M'an.

 


Quelle était l'intérêt d'un tel salon ? Le salon de l'érotisme et le salon du vin je comprenais; mais commeSalaud-agri.jpg le Salon du mariage ou le Salon de l'automobile, je ne pigeais pas l'intérêt de vanter un secteur économique et surtout un métier dont tout le monde semble se foutre. Et Jean-Patrick Pernault le premier. Allons bon ! Il y aurait de quoi manger et picoler gratos. Une sorte de vernissage d'une exposition naturelle, où les animaux sont montrés comme l'ont été des femmes à barbe, des Noirs ou autres étrangetés à des foires d'antan. À croire que depuis le temps, certains n'ont toujours pas compris que le lait sortait du pis des vaches et non des couilles de Michel- Edouard L.

 

Ma trotinette faisait du 100 à l'heure sur les boulevards. Versailles et sa porte étaient en ligne de mire. Il y a avait des gros panneaux indiquant l'entrée. « Hantez, Hantez faites comme chez-vous, restez3 » chantait l'un. Je m'approchais donc avec empressement afin d'en découdre avec le monde rural cher à notre président! C'était un joyeux foutoir, on entendait déjà des bruits stridents de bestiaux en rut. Comme si on égorgeait un cochon. « Caquette la poule, […], la Jument hennit, bêle la Brebis,[…]piaule le poulet, […], l'âne brait, cancane la cane, le taureau rugit et braille le paon. La caille margotte […]4 ». Une sorte d'invitation mystique. J'y présentai ma carte de presse. Le vigile qui m'avait déjà viré d'un troquet de Pigalle ne me reconnaissait pas. Je lui lâchai donc un billet pour qu'il me laisse entrer. Le monde rural était à présent devant moi. J'étais à la campagne à Paris. Je sortis mon micro et me promenai au gré des stands.


Une première interrogation me vint à l'esprit. J'étais intrigué à l'idée de rencontrer ces paysans modernes que certains surnomment gentiment des « cultos ». En effet, j'étais devant un grand champ de blé à moissonner, enfin une maquette représentant ces exploitations de la Beauce.

C'était la même image que mon livre de géographie du collège au chapitre « agriculture française ». On y voyait plusieurs moissonneuses-batteuses toutes fringantes dans un désert paysager andainé5. Point de haie, point de bosquet, ni d'arbre Tétard cher à Mad. J'étais bien loin de mon territoire bocager.


 

C'est ainsi que j'en vis un. Il était seulement à quelque mètres de moi. Une fière moustache ornait son visage rougeot. Il portait une casquette encore empoussiérée par la dernière moisson. Parfait représentant céréalier pour mon premier entretien.


-Je suis Mr Roger Milk correspondant permanent à mes frais à la Revue Callipyge.

-Cause plus fort l'gamin j't'entends point avé' l'bruit d'la mâchine.
-Je voudrais vous poser quelques questions sur votre métier de culto, m'égosillai-je.
-T'es qui toi?
-Je viens de vous le dire...
-De quoi?
-Bon Réné-Gérard , me crois-tu si j'te dis que j'viens de passer une semaine dans une ferme céralière bio où il n'y avait que deux tracteurs, une antiquité et un gros d'au moins 70 chevaux. Et qu'ils s'en sortent bien.
-Laisse moi rire ! Des bios qui font des céréales.... Moi, sur ma ferme de 157 hectares, j'ai 5 tracteurs, 3 pulvé', et cette Mois' Bat' que je prête pour la CUMA6 . Et j'ai du mal à m'en sortir! Alors les bios, je vois pas comment il font pour faire pousser du blé sans y foutre des engrais.
-Bah ils cultivent des céréales rustiques qui sont plus adaptées à leur terrain par exemple. Tu sais Jamy que l'épautre, grâce à ses racines profondes, s'adapte très bien aux sols pauvres, secs et peu fertiles ?
-Quoi? Pourquoi tu me dis que t'as mal à l'épaule !?
-Nan tais-toi, commençai-je à m'énerver car j'avais remarqué que sa casquette, certes jolie, lui avait été refilée par une multi-nationale d'engrais chimiques. Bon, c'est pas que je m'emmerde mais faut que j' m'en aille.
-Tu bois un coup?
-Bah, vite fait alors.


Des questions agitaient ma cervelle d'autant que je commençais déjà à tituber. Sacrément enivrant ce René-Gérard avec ses histoires de charrues à 12 socles. Il a failli me convaincre avec sa méthode le bougre.


L'Agriculture Française est d'une grande diversité. C'est ce qui la rend pertinente sur les marchés mondiaux. Hormis le pinard et le fromage que tout le monde nous envie à raison, il y a aussi, et le Salon de l'agriculture en fait des concours, de la bonne bidoche, pensai-je en me goinfrant d'un saucisson bien sec. En fait, accoudé à un abreuvoir situé à côté des water-closets (riche idée), je vérifiais si la couleur de mon urine était la même que celle du vin ingurgité. Le temps passa devant moi et mon godet. Je m'aperçus que je n'avais qu'un seul soi-disant entretien avec le monde agricole. Il me fallait rencontrer du rural bon sang, du vrai. Je devais interroger les laitiers. Vu la crise qu'ils traversent, j'allais avoir du scoop à tous les coups et mon nom me faciliterait la tâche, for sure ! Le pinard m'enivrant, je philosophais sur les différentes conduites d'exploitation que les paysans français suivaient. Je récitais aux autres accoudés du bar les manières de produire. L'énumération était complexe : agriculture intensive, raisonnée, labelisée, extensive, durable, bio... Quel bordel pour le consommateur!


Je sortis de ma torpeur vers les 16 heures.


-Qu'est-ce tu fous là toi !? Tu dragues ma Praline coquin ?

-Hein? 'tain ça pue ici!

-Tu crois peut-être que je vais lui torcher le cul à ma vache ?! Déjà que je l'ai brossée et rasée toute la nuit ma Holstein...

-Je suis où là? Me reveillai-je la gueule en vrac.pulverisation.jpg

Pousse-toi gamin que je la traie ma Praline !


Il n'y avait aucun doute mon flair journalistique m'avait conduit tout droit au coeur de l'action. Profitant d'une paillasse bien confortable, je m'étais assoupi au pied de cette belle Holstein. Sacrée bête: jamais couché avec une vache auparavant! L'occasion était idéale pour interroger ce vacher labellisé AB7. Et comprendre les mécontentements des producteurs laitiers et leurs grèves du lait. Je cherchais mes notes au fond de la paille, en vain. Je décidai d'improviser.

 

 

-Salut l'breton !

-J'suis mayennais fiston, confonds pas tout.

-Désolé Père Fourasse. Je peux vous appeler Père Fourrasse ?

-J'ai pas de gosses, mais s'tu veux, ouais, on peut causer.

-Merci Pépère. Dis t'as pas un truc à boire là !? J'ai le gosier qui s'lasse.

-Si prends-y des roupettes à queues au fond d'ma besace.

-C'est quoi ton affaire là? demandais-je avec empressement après avoir goûté la roupette.

-Des c'rises à la goutte pardi ! 'L'est con lui !

-Vas-y là ! m'énervai-je orgueilleusement. On se calme, on a l'droit d'pas connaître les roupettes à queues, nan ?

-T'as du caractère fiston, c'est bien. Tiens prends-y le saut à côté, que la Praline elle attend pour sa traite.

-Tu la trais toujours à la main la Praline ?

-Bah nan c'est pour le cliché ça, gamin. Même si j'ai un cheptel d'une vingtaine de bêtes, seulement, ça m'prendrait trop de temps de traire à la main.

-Je croyais que les bios il faisait tout à la main moi? demandai-je béatement.

-C'est ça ouais ! Tu crois aussi que je leur chante une berceuse à mes vaches pour qu'elles s'endorment le soir ?! Nan mais gamin, bio ça veut pas dire arriéré bordel, s'énervait-il à son tour.

-T'as aussi du caractère Pépère Fouettard, j'aime bien, surtour ta roupette à queue là (qui commençait serieusement à m'enivrer). Et la crise du lait t'as aimé ?

Ma petite entreprise ? J'connais pas la crise, se mit-il à chanter tout en tripotant la Praline. Celle-ci ne cessait pas de ruminer paresseusement au rythme de la pression infligée à ses mamelles. Nous, poursuivais-t-il, on a crée une Coop' qui nous assure un prix de revient honnête et régulier. On brade pas not' lait comme les conventionnels qui doivent se plier aux fluctuations et aux prix imposés par Bruxelles. C'est vrai, y z'ont raison les gars ! C'est scandaleux ! s'insurgea t-il en tirant plus fort sur la mamelle. C'est pas normal que le lait soit acheté une bouchée de pain et vendu 3 à 4 fois plus cher en grandes surfaces. Il y a un hic avec les intermédiaires. Nan ?


J'acquiessais car il me tenait en joue avec la mamelle de la Praline telle un Bé-Belle dans ses grands films.


-Tiens goutte-zi le lait d'ma Praline, tu vas kiffer grave.

Je sortis discretement de mon sac ma réserve de liqueur de café, ma vodka fraîchement importée de Russie par le Mad. J'y versai le tout dans le saut que m'avait tendu le vacher.


-T'as raison c'est très bon, même s'il manque des glaçons !

-Bin, le lait il est chaud quand y sort du pis, comme ton pipi, environ à 37°. Qu'est-ce tu crois ?

J'en rebus goulûment. Je tenais peut-être un truc, le russe blanc chaud. Y en a bien qui font du vin blanc chaud!

 

-'tain, bois pas tout! Faut que je fasse goûter aux gamins qui attendent depuis une heure.

-Ah merde ! Bon bah salut l'frangin. Merci pour tes roupettes à cul, me retournais-je.

-A queue gamins, à queue, hurla-t-il en s'avançant près des gamins enjoués à l'idée de goûter enfin au lait bio fraîchement trait.


Ma campagne parisienne prenait fin. Et le Salon allait bientôt fermer ses portes sur ce constat amer:  pas de verdure, peu de bouse, des produits de terroir, des gros tracteurs, beaucoup beaucoup de monde, des animaux propres et attachés. Elle avait fière allure notre agriculture française vu du Salon. On était bien loin de la réalité!


  Mr Roger Milk

 


1« Ancré depuis 60 ans dans le paysage touristique français et européen, le réseau des Hôtels restaurant Logis s’est donné un objectif passionnant : se moderniser sans perdre son âme. « Balèze les gars! » (ndlr) Première chaîne volontaire de restaurateurs hôteliers indépendants en Europe, il est identifié, reconnu, apprécié pour ses valeurs de tradition, de convivialité et de qualité.

in http://www.logishotels.com/decouvrez-les-logis/notre-philosophie/histoire.html.

2« Accueil paysan est un groupement de paysans, qui prenant appui sur leur activité agricole mettent en place un accueil touristique et social. […] La volonté est de faire découvrir aux accueillis notre métier, notre mode de vie et notre environnement, tant naturel que culturel, au travers d'un accueil caractérisé par la convivialité et l'échange réciproque. ».

in http://www.accueil-paysan.com/Pages/presentation.html.


3Extraits de la chanson Des visages des figures de Noir Désir paru dans l'album Des visages, Des figures.

4Extraits de la chanson Sois belle et tais-tois de Serge Gainsbourg.

5L'andain est une bande continue de fourrage(paille, herbe pour le foin) laissée sur le sol après le passage d'une faucheuse, moissoneuse batteuse, ou andaineuse.

6La Coopérative d'Utilisation de Matériel Agricole (CUMA) est une société coopérative agricole régie par le code rural. Elle met à disposition de ses adhérents du matériel agrciole et des salariés.

7Agriculture Biologique.

 


Publié dans Reportages

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Commenter cet article
D
<br /> Salut le Milk! tu m'enverras ton dosage pour le russe blanc tiède ca m'intéresse!<br /> Et aussi merci pour les sources et les commentaires en fin d'articles. On sent les professionalisme qui pointe et fais gaffe on voit tes chaussettes!<br /> <br /> <br />
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D
<br /> Mon petit,<br /> vous usurpez notre identité. Car ni le bon docteur, ni même le sautillant Milk ou moi même n'avons écrit cette note. Enfin, passez dans nos locaux on vous donnera le dosage du russe blanc.<br /> Callipygement.<br /> <br /> Mad<br /> <br /> <br />